Le carnet d'Anatole K. est le premier tome d’une trilogie d’anticipation fantastique tellement réaliste que certains événements écrits par l’auteur avant les faits sont à présent avérés (dans des circonstances et un tempo très différents, mais n’empêche). C’est un beau pavé écrit bien serré de 396 pages que l’auteur a auto-publié aux formats électronique et broché chez Amazon.
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Résumé : « 2029.
Des catastrophes naturelles inédites ont détérioré l’état de la planète et provoqué des mouvements migratoires chaotiques. En remède à ces bouleversements, la Fondation Géosophique propose à ses initiés d’atteindre un équilibre spirituel et écologique grâce au Pranium, une mystérieuse plante violette porteuse de révélations oniriques.
Anatole, lui, y voit l’opportunité de retrouver sa sœur, enlevée huit ans plus tôt. Très vite, ses recherches vont l’entrainer dans une quête qui le dépasse, celle de la Source du Pranium et des secrets que cet organisme végétal renferme...
Si la sagesse ne parvient pas à sauver l’humanité, peut-être nos rêves le pourront-ils ? »
L’auteur : Bercé par les contes vendéens et bretons du côté maternel et par les mythologies grecques du côté paternel, il a vite compris que de vastes mondes imaginaires se cachaient derrière une réalité parfois bien fade. Sa curiosité et son imagination l’ont naturellement poussé à explorer ces autres mondes, ceux des mythes et légendes, des rêves et du surnaturel. Puis, peu à peu, à créer et élaborer ses propres dérives fantastiques…
Plus tard, après plusieurs années dans la restauration, Karis constate qu’il a fait fausse route : il enfile son sac à dos et part avec sa femme pour quinze mois de voyage autour du monde. À son retour, un projet de romans est né (et, plus tard, deux enfants, mais c’est un autre sujet) !
Il développe depuis des récits d’un monde dans lequel les humains n’y seraient plus l’espèce dominante, et où Nature et Imaginaire font cause commune contre les bassesses de la réalité. C’est dans cet univers, miroir du nôtre, que s’inscrit "La Source du Pranium".
Retour de lecture : La très grande force de ce roman tient dans son réalisme ; un réalisme tel qu’il en devient même dérangeant à un stade du récit, où l’on se demande si l’on ne tient pas en mains le récit prosélyte d’une secte New Age quelconque... je vous rassure, il n’en est rien !
L’une des autres très grandes forces du récit est d’éviter de tomber dans le manichéisme : l’auteur ne cache pas sa sympathie pour une vision syncrétique de nos systèmes de pensée, pour l’écologie et l’abolissement des frontières, mais les géosophes de son récit sont loin d’être blancs comme neige (ou verts comme feuille).
Le troisième point fort du texte est sa très grande richesse et sa profondeur de champ : le monde de 2029 a beaucoup évolué et l’auteur nous dévoile au fur et à mesure ce qu’il est devenu, à l’aide deux méthodes différentes : la première consiste à un brosser d’abord un tableau très général, qui s’affine dans le temps, et notre compréhension suit le rythme ; la seconde méthode est celle de la mosaïque : l’auteur nous distille des bribes d’information regroupées au sein de très courts chapitres. « Des Géosophes et des Obsolètes » regroupent des événements qui ont eu lieu entre la fin du vingtième siècle et 2029, présentés sous la forme de flash AFP, d’extraits d’articles de presse, de réactions d’hommes ou de femmes politiques, de séquences de vie de quidams, … « Les Sagesses Géosophes » renvoient quant à eux aux piliers de la pensée géosophe : ce sont précisément ces courts paragraphes qui donnent tant de réalisme au récit, au point de nous faire douter de l’intention de l’auteur.
Il y a cependant un prix à payer pour tant de richesse et de réalisme : la première partie du roman est particulièrement lente à se mettre en place et peut lasser le lecteur. Deux facteurs viennent renforcer la frustration du lecteur : Anatole Kergoat – le protagoniste, un jeune homme au demeurant fort sympathique – est complètement paumé au début de l’histoire et ne maîtrise pas grand-chose de son destin, et pas plus de ses rêves (les voyages en Terre des Songes tiennent une grande place dans le récit) ; les tâtonnements du « héros » se répercutent sur celle ou celui qui suit ses péripéties. Le second, c’est la forme de la narration, qui emprunte très régulièrement au récit épistolaire, Anatole écrivant un journal de vie à destination de sa sœur disparue. Les trois éléments conjugués m’ont amené à passablement ronger mon frein, mais cette lenteur s’est avérée indispensable à ma bonne compréhension de l’univers complexe de « La source du Pranium » au moment où tout s’emballe, tout en se complexifiant dans le même temps, dans la deuxième partie du roman.
Le réalisme est également renforcé par la stylistique de Karis Demos, qui propose une écriture sans chichis ni effets de plume. Qu’on se comprenne bien, le texte est très bien rédigé, là n’est pas le débat, et je pense qu’il s’agit d’une volonté délibérée de l’auteur, notamment au travers de son choix d’un récit en grande partie épistolaire. Le héros écrit comme il parle et cela se traduit par l’emploi d’adverbes et de propositions toutes faites, telles que « en plus », « bien sûr », et d’autres, que j’aurai jugées superfétatoires dans d’autres textes. Au niveau des reproches, j’ai relevé plusieurs coquilles et fautes d’orthographe et de grammaire dans le texte (notamment des confusions entre infinitif et participe passé pour les verbes du premier groupe), mais cela reste suffisamment marginal pour ne pas heurter la lecture. Le récit rapporté sous forme d’écrit pose également la problématique d’une distanciation avec le héros et d’un affaiblissement des sentiments ressentis au cours de la lecture. C’est toutefois quelque chose qui s’améliore en deuxième partie de roman, mais ne vous attendez pas à vivre des montagnes russes émotionnelles.
Par contre le texte s’avère fichtrement intéressant, complètement en phase avec les préoccupations écologiques actuelles, sans – encore une fois – sombrer dans un manichéisme bêlant : les écolos de demain ne sont pas des tendres et lorgnent plutôt du côté de « Extinction Rebellion » ou de « Sea Shepherd » au niveau des modes d’action et s’avèrent prêts à des compromis, voire à des compromissions (je ne prétends pas que ce soit le cas du mouvement social ni de l'ONG précités). La part de fantastique du récit tient essentiellement dans le Pranium, une plante intelligente, source d’énergie « verte » (je mets verte entre guillemets puisque la plante et ses effluves sont violets). Elle est à la fois au cœur des enjeux et de l’intrigue, même si finalement celle-ci tient plus aux interactions entre les différents groupuscules qui cherchent à en localiser la source, plus ou moins alliés, voire franchement antagonistes. D’autres éléments fantastiques viennent enrichir le texte en fin de roman et présagent d’un prochain tome à vocation plus fantastique que le premier. On pourrait être tenté de faire un parallèle avec AQUATM de Jean-Marc Ligny, notamment en raison des enjeux écologiques et des dépêches de presse qui figurent dans les deux œuvres, pourtant Le carnet d’Anatole K. fait preuve de beaucoup d’originalité et ne ressemble à rien de ce que j’ai lu jusqu’à ce jour.
Pour conclure : Le carnet d’Anatole K. est un roman intelligent qui interroge le lecteur sur sa fibre écologique et sur sa relation au monde, sans avoir l’air d’y toucher. C’est surtout un récit d’anticipation fantastique dont la deuxième partie s’avère particulièrement addictive et ne laisse que peu de répit au lecteur qui tourne les pages comme un drogué pour avoir sa dose de Pranium. Ce qui précède manque d’un peu de rythme pour faire de ce roman un pur chef d’œuvre, mais cette lenteur est salutaire pour la bonne compréhension du lecteur au moment où tout s’emballe, passant de révélation en révélation. À votre tour, découvrez comment la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris s’est réellement effondrée, ce que le mouvement Extinction Rebellion va devenir dans le futur et quel est le prochain fléau (après le COVID-19) qui va s’abattre sur l’humanité !
Les liens :
- Le carnet d’Anatole K., 18,00€ au format broché (396 pages – ISBN 9 781077 875593), 3,99€ au format électronique ;
- La page Facebook de l’auteur, Karis Demos ;
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