Le 13ème Alto forme le premier tome d’une trilogie de romans de dystopie uchronique, teintée d'Urban Fantasy et orientée Young Adult, intitulée La fille du luthier. Le cycle démarre en 1999, alors que le monde entier est régi par des régimes autoritaires ultra-libéraux, le Nouvel Ordre. Ce roman court de 123 pages a été autopublié via Kindle Direct Publishing par son autrice, Sienna Pratt, sous son propre label, Over Dark Éditions. Il est disponible au format électronique chez Amazon, et prochainement (août 2020) en impression à la demande.
Résumé : « Placée dans un orphelinat insalubre, Eartha attend que le temps passe, tentant de conserver ses souvenirs malgré les "nettoyages" successifs. Le jour de ses quinze ans, son chat, Gremlin, lui apporte un message de son père, le Luthier. Elle est emportée dans un étrange jeu de piste historique, magique et surtout dangereux. Elle devra toutefois déjouer la surveillance intrusive des drones et des caméras qui quadrillent la ville. Parviendra-t-elle à retrouver son père et ses souvenirs ? »
L’autrice : Elle-même fille de luthier et de libraire, Sienna a longtemps vécu au confluent de la Seine et de l’Oise. Elle a beaucoup mis d’elle-même et de ses souvenirs d’adolescence dans ce premier roman.
Elle a un temps porté la robe noire d’avocate, mais la découverte des coulisses du monde des affaires l’a amenée à changer radicalement de vie : elle élève aujourd’hui des poneys Welsh en Normandie, et se consacre à l’écriture, entourée de ses chats et de son chien.
Retour de lecture : Le 13ème Alto » se positionne dès l’entame comme un roman Young Adult en employant une narration à la première personne du présent. On suit principalement l’action au travers des yeux d’Eartha, la fille du luthier Justin Altarus, mais également ceux d’Andrea Guarneri et Antonio Stradivari (deux très célèbres créateurs de violons et d’altos), trois siècles et demi plus tôt.
Pour autant, c’est bien Eartha qui occupe le rôle principal. Veuve de sa mère et séparée de son père par la volonté du Nouvel Ordre, l’adolescente a été placée dans ce qui s’apparente beaucoup aux historiques « écoles résidentielles » états-uniennes et canadiennes : des lieux « éducatif » clos dans lesquels de nombreux enfants amérindiens, jusque dans les années 1990, ont été placés pour les « désindianiser » (ces enfants ne pouvaient pas revoir leurs parents avant d’avoir fini leur « éducation »). Le Nouvel Ordre imaginé par Sienna Pratt va encore plus loin, puisqu’il fait subir de véritables lavages de cerveaux aux enfants qui y sont placés, afin d’en faire des travailleurs efficaces, entièrement dédiés à la production de richesses à destination des puissants de ce monde. Le Nouvel Ordre, c’est un peu le meilleur des mondes tel qu’aurait pu en rêver le fils caché de Kim Jong-Un et de Donald Trump (ne me remerciez pas pour l’image que je viens de vous mettre en tête, c’est cadeau !) : le triomphe du stakhanovisme taylorien, à la sauce totalitaire absolutiste. En vieux rationaliste ronchon, je regrette d’ailleurs un peu que l’univers s’avère aussi manichéen : même en considérant qu’il s’agit d’une dystopie, j’aurai aimé voir apparaître un peu plus de mouvements de résistance, ne serait-ce que par l’affichage de tags, ou qu’ils soient mentionnés au moins au moment de l’instauration du Nouvel Ordre. Ce n’est pas essentiel, mais cela m’aurait aidé à mieux accepter la crédibilité de l’univers dépeint.
Eartha est un personnage charismatique auquel on s’identifie facilement : tonique, sympathique et pleine de ressources, c’est un plaisir que de la suivre dans le jeu de piste corsé et dangereux qu’elle doit résoudre pour retrouver son père. Elle est bien secondée par son chat, Gremlin, un félin particulièrement fûté dont on aimerait bien disposer d’un clone. Petit aparté à son sujet : je n’ai pas bien compris pourquoi certains chapitres adoptaient le point de vue du chat, parce que tous auraient aussi bien pu être narrés par Eartha elle-même. Ce point de vue narratif ne colle pas vraiment avec un événement que je vous laisse découvrir en fin de roman. Cela dit, cette remarque n’a aucune incidence sur le plaisir de suivre les aventures d’Eartha.
Je dois bien dire que j’ai très longtemps cru ne suivre que le récit d’Antonio Stradivari et ne pas avoir remarqué dans le courant de ma lecture l’alternance avec Andrea Guarneri ; c’est un peu l’inconvénient du récit à la première personne : si on rate l’indication de début de chapitre, pour peu qu’il s’agisse, comme Antonio et Andrea, tous deux élèves du luthier Niccolo Amati, de personnages assez proches, on a vite fait de se mélanger les pinceaux… Il n’en reste pas moins que les épisodes historiques s’avèrent particulièrement intéressants, d’autant que c’est par leur biais que l’on apprend les étapes de la fabrication d’un violon. Si la vie d’Antonio ne débute pas sous les meilleurs auspices, sa volonté de devenir luthier et les moyens qu’il met en œuvre pour y parvenir, le rend également particulièrement sympathique.
Un troisième fil narratif est porté par Alec, un ami d’Eartha, resté dans l’institution éducative du Nouvel Ordre. On se prend vite de compassion pour ce personnage, affublé de tous les maux : malade – il peine à se déplacer par lui-même – il subit autant les mauvais traitements de ses camarades, qui voient en lui une proie facile pour passer leurs nerfs et s’attribuer ses maigres biens, que des cadres de l’établissements, pour lesquels il représente un investissement non rentable. Cependant la présence d’Alec ne semble avoir d’autre but que de nous donner à voir la noirceur du monde mis en place par le Nouvel Ordre (ce qui est plutôt réussi) ; j’aurai personnellement préféré que l’autrice lui prête de véritables intentions… peut-être dans un prochain tome, qui sait ?
La plume de Sienna s’avère plaisante à lire, même si la répétition des « Je » m’a un peu dérangé en début de lecture (un autre inconvénient de la narration à la première personne). J’ai fini par m’y faire à mesure de mon immersion dans l’intrigue. L’univers est plutôt bien dépeint, même s’il manque à mon sens d’un peu plus de descriptions pour nous y immerger totalement. Un autre petit reproche tient à l’opposition rencontrée par Eartha, qui réside presque exclusivement dans les drones : s’ils sont parfaits pour représenter la déshumanisation de la société voulue par le Nouvel Ordre, ils s’avèrent assez (trop ?) faciles à berner et ne parviennent pas à remplir leur fonction (littéraire) de mise ne place de la tension et du suspense. Finalement, la progression de la quête d’Eartha semble plus difficile en raison de la complexité des énigmes laissées par son père, qu’en raison des moyens déployés par l’état totalitaire pour faire régner la terreur.
Pour conclure : Le 13ème Alto » est un très bon premier roman, que l’on dévore avec gourmandise tant pour l'originalité de l'univers dépeint - qui mélange les genres (dystopie, uchronie et urban fantasy avec une touche de magie) - que pour l'objet de la quête. Sa lecture m’a semblée particulièrement indiquée pour des adolescents, mais des adultes y trouveront également leur compte, grâce à un triple fil narratif qui soutient en permanence l’intérêt, notamment par l’alternance des périodes historiques et les connaissances de l’autrice en matière de lutherie. On peut espérer que le prochain opus apporte un peu plus de profondeur à l’univers, notamment par l’apport d’une présence plus importante du Nouvel Ordre et de mouvements de résistance, qui n’a été jusque-là qu’esquissée. Il n'empêche que j'ai quitté Eartha, Gremlin, Antonio et Alec avec regret, mais avec la joie anticipée de les retrouver très bientôt pour de nouvelles aventures (joie mâtinée d’inquiétude pour certains d’entre eux). L’autrice laisse entendre que le deuxième tome de la trilogie « La fille du luthier » pourrait sortir en novembre (titre provisoire « Le chant de la mer ») et le troisième au cours du premier trimestre 2021.
Les liens :
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Le 13ème Alto, 3,99€ en précommande au format électronique (123 pages – ASIN B08BTD4911) ;
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La page Facebook de l’autrice, Sienna Pratt ;
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Le blog de l’autrice.
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